Durant plus de deux siècles, la traite négrière amène sur le sol américain plus de 400 000 esclaves venus d’Afrique (au moment de l’abolition de l’esclavage, en 1865, avec les naissances sur le sol américain, ils sont plus de 4 millions). Coupés de leurs racines et interdits de jouer de la musique africaine, ils travaillent pour la majorité dans le sud des Etats-Unis et tentent et de s’adapter au mieux à leur environnement pour y survivre. Recréant de toute pièce une communauté, ils se construisent également une culture musicale. En lien avec l’apparition des églises noires, apparaissent des chants religieux dans les champs de coton : ce sont les Negro spirituals. Il s’agit d’un art vocal qui s’appuie essentiellement sur l’ancien testament et notamment le livre de l’Exode racontant la fuite d’Egypte du peuple Hébreu… Voici l’un des negro spirituals les plus célèbres : Swing low, Sweet Chariot https://www.youtube.com/watch?v=ljup8cIRzIk
En Floride, apparait vers 1850 une danse inventée par les esclaves noirs qui parodient la démarche de leurs maîtres : le cake-walk. Exécutée au son du banjo (https://www.youtube.com/watch?v=-5st8Qgqd_Q ), elle faisait parfois l’objet de concours dans les plantations elles-mêmes, quelquefois en présence du propriétaire qui s’en amusait. Le gagnant étant récompensé par un gâteau… d’où le nom. Voici quelques exemples : https://www.youtube.com/watch?v=LqpINmqxlsc
La musique qui accompagnait ces danses va peu à peu évoluer vers le ragtime, écrit essentiellement pour piano qui en reprend le rythme et l’esprit. A la fin du 19ème siècle, de nombreux pianistes noirs sillonnent villes et campagnes pour faire entendre cette musique d’un nouveau genre qui finit par entrer dans les salons et remplacer les valses d’origines européennes. Plusieurs compositeurs de ragtimes connaissent une grande notoriété. C’est le cas de Scott Joplin, fils d’esclave affranchi, qui a appris la musique d’abord en autodidacte puis en prenant des cours payés par son père pourtant très pauvre. Son œuvre la plus connue est « The Entertainer », reprise dans le célèbre film « L’Arnaque » : https://www.youtube.com/watch?v=xsEKIuqA40Q
Dans la seconde moitié du 19ème siècle, loin des musiques savantes produites en Europe, apparait dans les champs de coton du delta du Mississipi, une musique lancinante et incantatoire : le blues. Puisant son origine dans les chants de travail, les mélopées ou les berceuses fredonnées par les esclaves noirs, le blues puise aussi son inspiration dans la liturgie protestante et les chants religieux. Il s’agit d’un chant accompagné souvent par un ou deux instruments, qui exprime un sentiment proche de ce que Baudelaire en France appelle le spleen. Les sujets abordés sont extrêmement divers, tout ce qui touche de près ou de loin à la vie de l’afro-américain de l’époque : l’amour, la prison, les rêves, l’alcool, les voyages, le dur travail… Le blues est né de l’esclavage, mais il n’existe que dans la liberté acquise, car le noir chante en son nom, pas en celui d’un autre à qui il appartient. C’est donc après l’abolition de l’esclavage qu’il va prendre son essor. Les paroles et la mélodie s’appuient sur une suite d’accords simples répétés à l’envi. Aux gammes classiques viennent s’ajouter deux ou trois notes en dehors de la tonalité : ce sont les « blue notes ». Le tempo peut être lent ou rapide.
Il faut attendre le début du 20ème siècle et le voyage initiatique sur le Mississipi de William Christopher Handy (the Father of the blues) pour que cette nouvelle musique soit enfin retranscrite (la transmission était jusque-là orale). Handy compose notamment le « Memphis blues » qui sera l’un des premiers blues à être publié et à connaitre un franc succès : https://www.youtube.com/watch?v=ZGqBmlZR3dc
Le premier enregistrement d’un blues avec une chanteuse noire est réalisé en 1920, il s’agit du « Crazy blues » de Mamie Smith : https://www.youtube.com/watch?v=qaz4Ziw_CfQ
Ces trois genres musicaux sont à l’origine d’un phénomène qui va bouleverser le monde musical et évoluer en prenant des formes à l’origine de presque toutes les musiques actuelles : le jazz.
Une écoute comparée :
Black Angel blues de Tampa Red
https://www.youtube.com/watch?v=JprWWzszKc0
Et Sweet little Angel de B. B. King
https://youtu.be/dNr_eIgP0tI?t=212
Objectifs de connaissances :
Dans la seconde moitié du 19ème siècle, dans les champs de coton aux Etats-Unis, des esclaves noirs inventent de nouvelles formes musicales : les Negro spirituals, qui sont des chants religieux, les ragtimes, musiques instrumentales servant à danser et les blues qui servent souvent à exprimer la tristesse.
Compétences cycle 1 :
Parler d’un extrait musical et exprimer son ressenti ou sa compréhension en utilisant un vocabulaire adapté.
Compétences cycle 2 :
Exprimer sa sensibilité et exercer son esprit critique tout en respectant les gouts et les points de vue de chacun.
Connaitre et mettre en œuvre les conditions d’une écoute attentive et précise.
- Décrire et comparer des éléments sonores, identifier des éléments communs et contrastés.
Compétences cycle 3 :
Développer sa sensibilité, son esprit critique et s’enrichir de la diversité des goûts personnels et des esthétiques.
Mettre en lien des caractéristiques musicales d’œuvres différentes, les nommer et les présenter en lien avec d’autres œuvres et d’autres savoirs construits par les enseignements (histoire, géographie, français, sciences etc.).
- Décrire et comparer des éléments sonores issus de contextes musicaux différents.
- Identifier et nommer ressemblances et différences dans deux extraits musicaux.
Cycle 1 : Après une première écoute de Black Angel Blues deTampa Red, on demande aux élèves comment ils aimeraient appeler cette chanson. On leur demande également (en utilisant des images par exemple) d’exprimer l’émotion qu’ils ont ressentie à l’écoute. Il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse, on peut prendre le temps d’échanger avec quelques enfants pour « pousser » un peu plus loin la réflexion. A cette occasion, on peut leur apporter du vocabulaire (tristesse, joie, bonheur, mélancolie…). Puis on peut demander aux enfants de se déplacer dans la classe (ou en salle de motricité) au son de la musique en exprimant l’émotion et en s’arrêtant parfois pour observer les autres : il est intéressant que dès le plus jeune âge, les élèves apprennent que leur interprétation, leur ressenti n’est pas forcément celui de tous… Mieux comprendre le monde, c’est aussi reconnaitre et accepter l’autre en tant qu’être sensible.
Cycle 2 et 3 : Il n’est pas pertinent de montrer les vidéos. On propose tout d’abord d’écouter Tampa Red et on entame le débat de manière classique : « Que pouvez-vous dire sur ce que vous venez d’entendre ? » (Encore une fois, cette question ouverte est le meilleur moyen de permettre à la fois à ceux qui entrent dans une œuvre par le sensible et ceux qui y entrent par la voie analytique de s’exprimer librement). L’enseignant dirige les échanges, distribue la parole, mais évite de s’exprimer pour ne pas orienter le débat dans le sens qui lui convient. Les élèves remarqueront sans doute que l’enregistrement est ancien, on leur demandera alors quels indices ont permis de le savoir (qualité d’enregistrement, type de voix, style musical). On note chaque remarque et chaque affirmation.
Si un élève fait une erreur (il entend un piano par exemple), on le note quand même et lors de l’écoute suivante, on demande à la classe de lever la main quand on entend le piano… Ainsi, on vérifie et on se rend compte qu’il n’y a pas de piano : on efface la proposition.
Beaucoup d’éléments peuvent apparaitre : le tempo assez lent, le petit nombre d’instruments (une guitare), la mélancolie de la voix…
Une deuxième écoute, voire une troisième permettent d’affiner les éléments repérés.
On propose ensuite d’écouter le deuxième extrait : l’enregistrement de la même chanson par B.B. King (le lien est calé au bon endroit). Dans un premier temps, on ne dit pas qu’il s’agit de la même chanson. La différence est telle qu’il est très difficile de la reconnaitre. Aussi, on demande aux enfants de relever tous les points communs et toutes les différences : ils noteront par exemple que dans les deux versions la voix est prépondérante, que c’est un homme qui chante, qu’il y a de la guitare et peut-être (c’est peu probable) remarqueront-ils des similitudes dans le texte. Les différences sont nombreuses : la version de B.B. King est plus lente, plus libre, plus exubérantes, la ligne mélodique est différente, il est accompagné par un petit orchestre… On leur révèle enfin qu’il s’agit de la même chanson, ce qu’on appelle un « standard » du blues.
L’histoire du blues (et du jazz) est jalonnée de chansons qui ont connu un tel succès qu’elles sont devenues des standards. Et les musiciens (chanteurs) plus jeunes reprennent les standards d’hier en les remettant au gout du jour et les interprétent à leur façon. Ainsi évoluent les succès d’autrefois, parfois tellement modifiés qu’on les reconnait à peine…
Pour aller plus loin :
Voici quelques blues qui ont marqué l’histoire de la musique :
1927, Bessie Smith chante « Back water blues »
https://www.youtube.com/watch?v=4gXShOJVwaM
When it rains five days and the skies turn dark as night
When it rains five days and the skies turn dark as night
Then trouble’s takin’ place in the lowlands at night
I woke up this mornin’, can’t even get out of my door
I woke up this mornin’, can’t even get out of my door
There’s been enough trouble to make a poor girl wonder where she wants to go…
La chanson a été écrite après les terribles inondations qui ont frappé Nashville en 1926. On peut noter la structure AAB.
1937, Sonny Boy Williamson reprend « Early in the morning » de Charlie Spand https://www.youtube.com/watch?v=8EL6rjnyWkc
Deux guitares et un chanteur S.B. Williamson qui joue aussi de l’harmonica.
1954, Muddy Waters interprète « I’m ready »
https://www.youtube.com/watch?v=VrKHz94rGpk
1967, Jimi Hendrix interprète Red House : https://www.youtube.com/watch?v=JzUiGuQKrRE&list=PLiI1ER6BB1x5uk0YyA5vlz_SgvNEEet6v
1970 Led Zeppelin compose « Since I’ve been lovin’ you » : https://www.youtube.com/watch?v=K8R7zjJMIfU